14 mai 2016

L'événement (Annie Ernaux)

Résumé :
Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. Lire dans un roman le récit d'un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en sensation violente. De la même façon entendre par hasard La javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, n'importe quelle chanson qui m'a accompagnée durant cette période, me bouleverse. Annie Ernaux.

Mon avis :
Octobre 1962, Annie est étudiante. Et enceinte. Elle ne veut pas de cet enfant. Si tôt le certificat donné par le médecin, elle le déchire.
Là commence son parcours du combattant. Rappelez vous, à cette époque l'avortement est interdit.
Et donc, pour trouver un médecin qui pratique... on se donne les infos sous le manteau, on n'en parle surtout pas aux médecins, qui ne veulent pas risquer la prison pour ça.
Annie est tellement désespérée qu'elle tente d'avorter seule. La scène est évidemment super violente. Il n'y a rien de pire qu'avorter seule, sans aide, sans soutien, et savoir qu'on risque la mort pour ça.
Et puis, quelqu'un parle à Annie d'une femme qui a pu avorter grâce à une faiseuse d'anges.
Annie voit enfin le bout du tunnel, c'est bientôt la fin. Bientôt elle sera débarrassée de cet embryon dont elle ne veut pas et qui lui pourrit la vie depuis bien trop longtemps déjà.

Et là, soudain, toute la violence des avortements clandestins nous saute aux yeux. Ces femmes font avec les moyens du bord, bien limités. L'auteure nous raconte tout, sans détour, sans tabou.
L'angoisse de devoir attendre plusieurs jours que ce corps étranger claque et s'expulse enfin.
Et l’après. Les risques, tout ce sang, le curetage, la montée de lait. Le jugement, la traite par les professionnels. L'horreur psychologique qui suit l'horreur physique.

Ce récit est hyper court (120 pages), mais il est suffisant à Annie Ernaux pour raconter chaque détail de sa vie autour de cet avortement, la force des mots contre la violence de l'acte. C'est triste, c'est bouleversant, et ça fait prendre conscience de l'immense chance que nous avons aujourd'hui de pouvoir avorter légalement. Ne pas oublier ce que les femmes ont vécu pour que nous soyons libres de disposer de notre corps.

En face d'une carrière brisée, une aiguille à tricoter dans le vagin ne pesait pas lourd.

Il se peut qu'un tel récit provoque de l'irritation, ou de la répulsion, soit taxé de mauvais gout. D'avoir vécu une chose, quelle qu'elle soit, donne le droit imprescriptible de l’écrire. Il n'y a pas de vérité inférieure. Et si je ne vais pas au bout de la relation de cette expérience, je contribue à obscurcir la réalité des femmes et je me range du coté de la domination masculine du monde.

1 commentaire:

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